Nom d'un cactus !


Pourquoi tant de noms de cactus ?

Quand un botaniste découvre une plante qu'il estime nouvelle, il en envoie normalement des exemplaires dans des institutions botaniques pour étude, en précisant le lieu de récolte. Il peut également décrire sa découverte en suivant les règles très précises énoncées dans le Code (notamment désignation d'un holotype, plante d'herbier ayant servi à la description, diagnose publiée dans une revue de bon niveau) et lui attribuer un nom d'espèce. Dans une publication scientifique, le nom est indiqué en italique, suivi du nom des auteurs et de l'année de publication. Cela donne par exemple :

Coryphantha glassii Dicht & Lüthy, 2000

Malheureusement, dans le passé et même encore de nos jours, certains botanistes n'ont pas toujours suivi toutes les règles prévues. De ce fait, les noms correspondants doivent être considérés comme invalides et sont rejetés par la communauté des autres botanistes. Le problème est que, parfois, pour financer leurs recherches, ces spécialistes envoient également des plantes ou des graines simultanément à des producteurs professionnels, lesquels ne tardent pas à mettre sur le marché des plantes affublées de ces noms invalides avant que la situation ne soit clarifiée par la publication d'un nom valide. Un nom invalide est suivi de la mention (nom. inval.).

Exemple :  Mammillaria albidula Backeberg, 1961 (nom inval.)

Il arrive également que des noms soient considérés comme illégaux quand ils enfreignent une ou plusieurs règles essentielles, notamment réutilisation de noms d'espèces déjà existants dans un même genre. Un nom illégal est suivi de la mention (nom illeg.). 

Exemple : Cactus berteri Colla, 1834 (nom illeg.)

Certains collecteurs de plantes, qui prospectent dans les pays d'origine à la recherche de nouveautés, et qui n'ont pas forcément de formation scientifique, mettent souvent sur le marché des plantes baptisées à la va-vite, sans respect des principes de la botanique. En l'absence d'holotype et de description précise, ces noms sont considérés comme  nomen nudum  (ou nom. nud. en abrégé), c'est à dire des « noms nus ». Ces noms douteux correspondent généralement à des formes isolées d'espèces déjà décrites. Mais quand il s'agit d'une vraie nouveauté, un autre auteur a la possibilité de transformer le nomen nudum en nom valide, en désignant un holotype et en décrivant la plante. Une plante peut ainsi être connue en culture, mais rester pendant des années sans nom valide jusqu'à ce qu'on la retrouve dans la nature et qu'on la décrive dans les règles.

Les cultivateurs qui sélectionnent des sujets remarquables d'une espèce, aux qualités commerciales plus importantes, ont également eu tendance dans le passé à baptiser leurs trouvailles avec des noms de variétés à consonance latine : rubrispina, albispina, longispina... Cela était autorisé, mais ces noms apportaient une confusion supplémentaire en laissant croire qu'il s'agissait de plantes d'origine naturelle. Pour ces variétés issues de culture, on doit utiliser maintenant des noms de fantaisie, sans consonance latine ou grecque, isolées entre guillemets simples.

Exemple : Mammillaria spinosissima 'Un Pico'

Nom invalides, illégaux, nus ou de catalogues constituent une part non négligeable des noms rencontrés dans les diverses publications ou dans le commerce. La création de ces noms peut être attribuée au manque de rigueur de certains spécialistes, au manque de connexion entre les informations de botanistes isolés, à la difficulté de consulter les publications les plus anciennes… Cependant, une part bien plus importante des noms de cactus qui encombrent les livres, les catalogues et les étiquettes est attribuable à des descriptions d'espèces parfaitement valables dans leur forme, mais pas forcément dans leur fond. c'est à dire qu'une notion de l'espèce très restrictive, telle qu'on la connaissait dans le passé, a conduit à décrire des formes isolées de populations de plantes à l'aire de répartition très étendue. Soumises à des conditions écologiques différentes, les plantes d'une même espèce peuvent présenter des apparences assez dissemblables, au point que des botanistes ont cru bon de les considérer comme des variétés, voire des espèces distinctes. Des études approfondies du système reproductif, très stable, des comparaisons de plantes mises en culture hors de leurs biotopes, et donc soumises à des facteurs de croissance identiques, des études de l'ADN, ont permis de confirmer que de nombreuses « espèces » n'en étaient pas et devaient être considérées comme l'expression d'une seule espèce prise au sens large. De ce fait, les noms correspondants doivent être traités comme des synonymes du nom ayant priorité, c'est à dire, en règle générale, le nom le plus ancien désignant l'espèce.

Exemple : Parodia faustiana, décrit par Curt Backeberg en 1935 et Parodia uhligiana, décrit par le même auteur en 1963, ne présentent pas de différence vraiment significative avec Parodia nivosa, décrit en 1934. Parodia nivosa est donc le nom correct pour les plantes correspondant à ces trois types. Parodia faustiana et uhligiana sont actuellement considérés comme des synonymes de Parodia nivosa.

Bien entendu, cet exemple suppose que la notion de « différence significative » soit admise par la communauté des botanistes spécialistes des Cactacées. C'est là que le bât blesse, car on tombe forcément dans le domaine subjectif de la délimitation d'une espèce. Certains spécialistes ne sont pas d'accord avec la position officielle, telle qu'on peut la trouver dans la CITES Cactaceae Checklist listant tous les noms de cactus valables et leurs synonymes. La querelle des splitters contre les lumpers fait rage depuis des décennies. Les splitters (diviseurs) se basent sur les différences et sont pour la multiplication des espèces, alors que les lumpers (amasseurs) se basent sur les similitudes et sont pour la réduction du nombre d'espèces, quitte à créer de nombreuses sous-espèces. Il faut constater que la tendance de ces dernières années était favorable aux lumpers et que cela a provoqué de nombreuses disparitions d'espèces bien ancrées dans les habitudes des collectionneurs et des professionnels.

Au problème de la limitation des espèces s'ajoute le casse-tête de la délimitation des genres et de l'appartenance d'une espèce à un genre précis. Si une espèce repose sur une population de plantes se reproduisant entres elles pour donner des sujets fertiles et semblables à leurs parents, la définition d'un genre est relativement moins précise et peut être modifiée par la découverte de nouvelles espèces. De modification en modification, la frontière entre les genres s'amenuise, au point que certains genres finissent par être inutiles ou considérés comme des sous-ensembles d'un genre plus vaste. Le genre regroupe les espèces présentant une quantité importante de caractères communs, notamment dans la structure du système reproductif : fleurs, fruit, graine.

Le nombre de genres et d'espèces ayant fortement progressé depuis la découverte des premières Cactées, des reclassements d'un genre à l'autre étaient inévitables, en fonction des sensibilités de chacun, ou des apports plus objectifs de la science. Quand une espèce est reclassée dans un autre genre, on conserve le nom du premier auteur entre parenthèses et on y ajoute l'auteur de la nouvelle combinaison. Dans la pratique, cela s'est traduit pour certaines plantes par de très nombreux changements de noms ! 

Voici un exemple parfaitement révélateur, qui permet de comprendre comment, d'un livre à l'autre, deux photos représentant la même plante peuvent être légendées sous deux noms différents :

Echinocactus uncinatus Galeotti, 1848
Ferocactus uncinatus (Galeotti) Britton & Rose, 1922
Hamatocactus uncinatus (Galeotti) Orcutt, 1926
Echinomastus uncinatus (Galeotti) F.M.Knuth, 1935
Glandulicactus uncinatus (Galeotti) Backeb. 1939
Ancistrocactus uncinatus (Galeotti) L.D.Benson, 1969
Sclerocactus uncinatus (Galeotti) N.P.Taylor, 1987
Pediocactus uncinatus (Galeotti) Halda, 1998

Dans cet exemple, Echinocactus uncinatus est le basionyme c'est à dire le nom sous lequel Galeotti a décrit en premier la plante dont le nom officiel est actuellement Sclerocactus uncinatus

Ancistrocactus uncinatus est un synonyme homotype de Sclerocactus uncinatus, c'est à dire qu'il est basé sur le même holotype choisi par Galeotti en 1848. Il désigne exactement le même groupe de plantes, mais correspond simplement au transfert de ce groupe de plantes dans un autre genre. Si on considère maintenant que Echinocactus mathssonii, basé sur un autre holotype choisi par Karl Schumann en 1897, ne présente pas de différence significative avec Sclerocactus uncinatus, on peut ajouter à notre liste de synonymes homotypes, 4 autres noms, qui sont des synonymes hétérotypes :

Echinocactus mathssonii Berge ex K.Schum. 1897
Ferocactus mathssonii (Berge ex K.Schum.) N.P.Taylor 1979
Glandulicactus mathssonii (Berge ex K.Schum.) D.J.Ferguson 1991
Ancistrocactus mathsonii (Berge ex K.Schum.) Doweld 1999

Dans ce cas, Sclerocactus uncinatus possède 11 synonymes…

Afin d'éviter la multiplication de ce genre de situations, un consensus a été établi entre tous les spécialistes mondiaux. Après une phase d'études et d'échanges de points de vue, des propositions concernant la validité de tous les genres publiés dans la famille des Cactacées ont été soumises à un vote. Le résultat, publié dans « The New Cactus Lexicon », est la disparition officielle de nombreux genres pourtant bien ancrés dans les habitudes, dont : Notocactus, Trichocereus, Lobivia, Dolichothele, Neoporteria, Neochilenia, Gymnocactus … inclus maintenant dans d'autres genres plus anciens et considérés comme acceptables : Parodia, Echinopsis, Mammillaria, Eriosyce, Turbinicarpus

Cependant, certains spécialistes dissidents estiment que la situation ne mérite pas d'être simplifiée, et publient encore de nouveaux genres pour des espèces connues depuis longtemps, augmentant inutilement la liste des synonymes.

Exemple : Puebloa, Kadenicarpus, Bravocactus ou Emorycactus, créés par Doweld entre 1996 et 1999.

Tout récemment, la comparaison de l'ADN mitochondrial de nombreux échantillons de Cactacées a permis d'établir des filiations surprenantes, qui contredisent bien souvent la classification issue du consensus. Il faut donc s'attendre à la résurrection prochaine de certains genres, voire à la création de nouveaux genres quand toutes les espèces auront été analysées. Rien n'est donc définitivement réglé dans la famille. Un nouveau livre, écrit par Joël Lodé, « Taxonomie des Cactacées » paru en 2014, a fait le point sur la nouvelle classification des cactus.

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