Historique

1907-2007, un siècle d'horticulture

Voici, racontée en quelques pages et grâce à des photos d'époque sorties des albums de famille, l'histoire des Etablissements Kuentz de 1907 à nos jours…

  1. Belfort
  2. Le voyage à Monaco
  3. Le Domaine de la Magdeleine
  4. Les années 40
  5. Les années 50

5 - Les années 50

Les années 50 furent le début de l'Age d'Or de l'horticulture française. Le débouché principal de la production de l'Etablissement était un réseau d'horticulteurs, de fleuristes et de marchands-grainiers qui était démarchés par un représentant multicartes. Les plantes étaient expédiées à racines nues ou en pots, dans de grandes corbeilles en osier, soigneusement emballées dans du papier journal et calées avec de la fibre de bois. Le dessus des corbeilles était protégé de l'écrasement par une coiffe en bambous solidement ficelés. Les expéditions se faisaient par chemin de fer, les destinataires se chargeant de retirer les corbeilles en gare.

Le développement était très important : pas une année ne s'écoulait sans qu'une nouvelle construction de coffres ou d'abris ne fût entreprise. Les années 50 furent également la grande période des botanistes-explorateurs allemands comme Ritter, Backeberg et Blossfeld, qui expédiaient en Europe des graines et des plantes de leurs incessantes découvertes. Mon père était en relation avec les meilleurs spécialistes car une partie importante des ventes s'effectuait avec de gros clients originaires d'Allemagne et de Suisse, à la recherche de cactus de belle qualité, aux épines bien développées et si possible dans des variétés inédites. Des espèces encore inconnues en France furent alors activement développées par semis ou greffage. A l'Exposition florale de Cannes de 1954, mon père obtint un Grand Prix d'Honneur et fit sensation avec ses Parodia, Lobivia et Rebutia greffés et en pleine floraison.

Lettre de Harry Blossfeld, collecteur de graines au Brésil

Offre de graines de Harry Blossfeld, 1953

Liste de graines de Hildegarde Winter, qui recevait d'Amérique du Sud les graines de son frère Friedrich Ritter (codes FR)

Une grande serre en poutrelles métalliques de 420 m2 fut construite pendant l'hiver 54-55. Elle était chauffée avec un générateur d'air chaud fonctionnant au fuel, c'était le « dernier cri » de l'époque. Elle était dédiée à la culture en pleine terre de plantes de moyenne et grande taille, les coffres continuant d'abriter les jeunes plants et les anciennes serres restant réservées à la multiplication et aux plantes en pots.

Serre en poutrelles métalliques - Originalité : la face Sud est plus large et moins inclinée que la face nord
Des tablards aériens et latéraux permettent d'accueillir des terrines de jeunes plants

A gauche et à droite de l'escalier menant à la villa, deux abris ouverts sur les côtés accueillaient les plus vieilles plantes, servant à la production de graines fraîches de Cactées globulaires et d'Aloe.

Collection d'aloès en pleine terre - Une pergola, couverte de châssis en hiver, procurait une petite protection

Abri vitré ouvert sur les côtés et rocaille de pleine terre pour les porte-graines de la collection

Mon père a eu la chance d'obtenir les premiers Myrtillocactus geometrizans cristata dans un semis vers 1950.
Derrière, un Echinocactus grusonii de 40 à 50 ans qui commence à fleurir.

Cotyledon undulata en fleurs

Lobivia bruchii en fleurs, avec son étiquette gravée - Le petit pot sert à recueillir les fruits mûrs.

Trichocereus pachanoi de 4 mètres de haut en fleurs.

Trichocereus pachanoi en fleurs - Vue depuis la terrasse.

Le catalogue n°4 publié au printemps 1955 fut le premier « vrai » catalogue sur papier glacé, avec quelques photos en noir et blanc, une couverture en couleurs et une liste déjà impressionnante de 400 Cactées, 130 plantes grasses et 110 Mesembryanthemum proposés à la vente !

Les prix de détail démarraient à 100 F (anciens) et allaient jusqu'à 1000 F pour une forte plante. Un petit Chamaecereus silvestrii valait par exemple 150 F, contre 4 F en 1938 ! On note l'apparition d'espèces alors rares en culture comme Astrophytum asterias, Lophophora williamsii, Euphorbia obesa et Euphorbia meloformis.

Catalogue n°4 , Aporocactus (martianus ?)

Liste des cierges - Version complète téléchargeable sur cactuspro.com

Une des plantes phares était l'Espostoa lanata, cultivé par milliers d'exemplaires.

Jeunes Espostoa lanata cultivés sous châssis non chauffés.

 

1956 - Après un début d'hiver très doux, où les paysans avaient taillé la vigne en pans de chemise, la neige et un froid sibérien firent brutalement leur apparition en février 1956. Les températures minimum restèrent en dessous de 0°C pendant deux semaines, atteignant jusqu'à -17°C. La couche de neige fut si importante qu'il fallut la déblayer en pleine nuit pour éviter que les serres ne s'écroulent.

La neige de 1956 a tout recouvert pendant deux semaines !

Les palmiers Washingtonia filifera, protégés par leur jupe de feuilles mortes, résistèrent au froid.

Les dégâts furent énormes, aussi bien pour les cultures que pour le parc. Les eucalyptus, les mimosas, les palmiers dattiers, saisis en pleine végétation, périrent. Les Opuntia et les Cereus cultivés en plein air gelèrent, les plantes sous simple abri, arrosées quelques jours avant l'arrivée du froid, furent en grande partie détruites. Les serres en bois montrèrent leurs limites et devront être reconstruites.

Au dégel, les Opuntia sont morts.

Les Cereus peruvianus et monstruosus s'affaissent.

Le Dasylirion acrotrichum planté au bord de l'escalier a tenu, il est toujours visible au même endroit de nos jours.

Une telle catastrophe éprouva gravement mon grand-père, qui, miné par le chagrin, mourut quelques semaines plus tard.

Le seul point positif de ce gel du siècle fut qu'il permit de vérifier une fois de plus que de nombreuses espèces de Cactées cultivées sans chauffage résistent parfaitement au froid si elles sont hivernées au sec. Grâce à une politique de multiplication intensive, les pertes furent rapidement compensées.

1957 - A l'occasion du cinquantenaire de la Maison, mon père édita un superbe catalogue de 40 pages illustré de 110 photos en noir et blanc. Un choix exceptionnel de 600 Cactées, 370 plantes grasses, 170 mesembryanthémacées et 50 plantes cristata est proposé à des prix allant de 150 à 1000 anciens francs. Cette collection était, à l'époque, considérée comme la plus complète d'Europe.

Catalogue n°5, version complète téléchargeable sur cactuspro.com

Julien Marnier-Lapostolle, le fabricant du « Grand Marnier » et propriétaire du plus grand jardin botanique privé d'Europe ( Les Cèdres, à St-Jean Cap Ferrat ), était un bon client. Mon père faisait aussi des échanges avec Marnier, ce qui lui permettait de récupérer quelques-unes des variétés que le magnat faisait venir à grands frais du Monde entier.

Le nom de Kuentz devenant une référence parmi les collectionneurs de France et d'Europe, les expéditions par colis postal vers les amateurs prirent de l'ampleur, mais les cactophiles n'étaient pas très nombreux en France, à l'inverse de ce qu'on pouvait observer alors en Allemagne, Angleterre ou Belgique. Le principal débouché de la production restait la vente aux horticulteurs français et allemands.

1958 - Les plus grandes plantes cultivées commençant à toucher les vitrages, une serre de grande hauteur fut construite sur mesure. Mesurant 210 m2 et 4.60 m de hauteur au faîtage, elle permettait de proposer de grands cierges et des Euphorbia candélabres pour les jardins de la Côte d'Azur. Elle incluait un bassin de stockage de l'eau de source. Les anciennes serres en bois des années 40 furent reconstruites en fer et reliées par une galerie à la serre des grands sujets. Ce bloc est resté en fonction jusqu'en 2015. Un chauffage à air pulsé très puissant, alimenté au fuel, chauffait l'ensemble à 20°C si nécessaire, ce qui permettait de multiplier en toute saison, à une époque où le fuel ne coutait pas cher !

La nouvelle serre des grands sujets à droite de l'allée.
A gauche, l'abri vitré qui protégeait la rocaille a été reconstruit.
Au fond, un rare cocotier du Chili.

1959 - La rupture du barrage de Malpasset le 2 décembre fut un drame pour la ville de Fréjus. C'est la plus grande catastrophe civile de France : 423 morts furent à déplorer. Toute la vallée du Reyran et la partie ouest de la commune furent emportés par un gigantesque flot de boue.

Les restes du barrage de Malpasset

Le domaine étant situé à l'est de la ville, la vague s'arrêta fort heureusement à une centaine de mètres de chez nous.

Inquiets pour notre sort, clients et fournisseurs tentèrent d'entrer en relation avec nous, mais le téléphone et l'électricité étaient coupés. De nombreux témoignages de sympathie nous parvinrent par courrier. Mais une tornade et des pluies diluviennes s'abattirent quelques jours plus tard et provoquèrent la chute de plus de 20 grands cèdres et cyprès presque centenaires ! Ce fut un véritable désastre pour le parc. Il fallut plusieurs semaines de travail pour déblayer tout le bois.

A Suivre

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